Septembre 2045
C’est la rentrée. Ma vingtième rentrée, déjà. Heureux de reprendre.
Retour au lycée. Retrouvaille avec les collègues. On parle des vacances, de nos voyages en vélo et en train, à profiter de ce temps libre, luxe ultime.
Je retrouve mon gymnase et mes installations, je retrouve le parc et le petit bosquet, le matériel. Enfin surtout, je retrouve les élèves, qui grouillent dans la grande cours, attendant de découvrir cette nouvelle année scolaire.
Pour ce premier cours, comme toujours, je présente les règles de vie de classe, qui nous permettront de fonctionner ensemble. J’aime aussi expliquer le but de l’EPS, à des élèves pour qui ce n’est pas souvent clair.
Les élèves sont assis autour de moi, attentifs, à la fois curieux et inquiet, sur la réserve, observant qui sera leur enseignant cette année.
Ils écoutent les activités de leur année de seconde. Randonnée. Acrosport dehors. Basketball. Sophrologie. Danse. Je leur parle du voyage annuel en nature, qui est généralisé à toutes les classes depuis plusieurs années. On ira pas très loin, dans les Vosges, dans un super gîte, ca va leur plaire…
Il n’y a pas de réactions particulières. Quelques questions sur ce qu’est l’acrosport dehors, et sur le voyage, mais les élèves s’habituent vite au changement. Car il y a dix ans, avant les nouveaux programmes, les activités enseignées n’étaient pas les mêmes. Pas du tout. L’école dans son ensemble a bien changé. Quelle chance ! Un virage courageux a été pris par le ministre de l’éducation Nationale en 2027 : faire évoluer le métier de professeur d’EPS pour, je le cite « permettre aux élèves d’explorer et de vivre, à travers des expériences corporelles riches, les valeurs républicaines, une connaissance de soi, et un rapport à l’environnement sensible, pour permettre aux citoyens de demain de développer une culture commune basée sur le respect d’autrui autant que du monde ». On pourrait le dire, ce n’est plus le même métier. Et je crois que c’est une bonne chose.
Je me souviens de ces cours d’histoire de l’EPS lors que j’étais étudiants. Nous découvrions l’évolution de la discipline, de la gymnastique suédoise, centrée sur un hygiénisme nationaliste vers le courant de George Hébert et sa méthode naturelle. Je découvrais que les cours de sport n’avaient pas toujours été et qu’ils avaient été enseignées de manières bien différentes de mes années d’élèves du secondaire. Si le corps est toujours resté, son usage, sa didactisation n’ont cessé de prendre des formes variées, difficilement imaginables alors. Ce sport justement, que j’aime et que j’ai commencé à enseigner fait a son tour partie intégrante de notre histoire. Le métier a évolué. Plus cohérent avec les valeurs que l’on veut transmettre à l’école, plus enrichissant pour les élèves. L’EPS se découvre une nouvelle forme, plus en accord avec son temps.
J’ai l’impression d’aller plus loin. De leur faire vivre des apprentissages essentiels, qui n’étaient que distillés, imprécis, précédemment. Les mêmes valeurs sont là pourtant, ou si proches. Coopération. Expression. Partage. Plaisir. Connaissance de soi. Respect.
Des valeurs qui étaient difficiles à l’époque de faire entrer en relation avec les activités sportives toutes ou presque compétitives. Dans l’affrontement, avec un seul gagnant, une nécessité de performer, nous vivions dans un paradoxe constant ! Les élèves devenaient fous pendant les matchs ! On fait comment pour coopérer alors qu’il faut gagner ?
Aujourd’hui, les élèves n’ont pas changé, ils peuvent encore mal gérer les émotions, mais c’est seulement dans le champ d’apprentissage 4. Car, c’est ce que je dis aux élèves en début d’année, au cours de leur scolarité, et chaque année, ils vont vivre 4 types d’expériences corporelles :
- CA 1 : Expérience corporelle artistique
- CA 2 : Expérience corporelle de connaissance et soin de soi
- CA 3 : Expérience corporelle de nature
- CA 4 : Expérience corporelle compétitive
CA 1 : vivre des expériences artistiques et créatives à travers la danse, les arts du cirque, les activités corporelles. Jouer des rôles, imaginer des univers, transmettre un message par un propos artistique véhiculé par le corps. Transmettre des émotions, et en vivre !
CA 2 : mieux se connaître et prendre soin de soi. Par le yoga, des activités d’étirement, de connaissance de soi. Travailler la respiration et la relaxation pour se sentir mieux au quotidien et à l’école, découvrir des techniques de bien-être, avoir des temps pour soi, pour explorer son corps et ses sensations au niveau de l’intime.
CA 3 : Connaître l’environnement qui nous entoure. Le traverser, jouer avec, mais surtout apprendre à le respecter. Apprendre à s’émerveiller de ce patrimoine pour vouloir le conserver, y passer du temps pour ne pas oublier qu’il existe. Ressentir et incorporer le lien corps – environnement.
CA 4 : Vivre des expériences compétitives, où le corps permet de se confronter à l’autre et de le défier pour atteindre le meilleure performance. Ce sont les anciennes CA 1,2,4 des anciens programmes, réunis en un seul CA. Elles sont enseignées car elles demeurent intéressantes, mais avec parcimonie.
Novembre 2045
Classe de 2nde G : séquence randonnée et biodiversité.
Nous avons un parc et des jardins ouvriers à proximité du lycée. Le groupe classe se rassemble et marche vers la verdure et le silence. Je m’arrête régulièrement pour leur montrer des plantes, parfois des oiseaux, afin de leur donner un nom et de raconter une petite anecdote à leur sujet. Les élèves touchent, sentent, manipulent, et apprennent le soin. Progressivement, au fil des ballades, ils intègrent ces compagnons ignorés et les nomment aisément. Mais le moment que j’adore, les élèves aussi, c’est le moment « éblouissant ». Un élève choisit un endroit qu’il trouve particulièrement beau. On s’y réunit, et chacun dans sa bulle, observe pendant plusieurs minutes ce lieu magnifique, en étant attentif à sess émotions, sensations, et les beaux éléments du paysage. Je leur donne des repères et des éléments à identifier dans leurs sensations, afin qu’ils savent quoi chercher dans leurs ressentis. Qu’est-ce que tu trouves beau devant cet arbre centenaires ? Est-ce que tu sens le vent sur ta peau ? Tu entends les rameaux s’ébrouer ? Qu’est-ce que tu ressens ? De la joie. De l’ennuie ? De l’émerveillement.
Nous partageons souvent nos ressentis, ce qui permet à chacun de voir ce qu’il n’avait pas vu, de s’émerveiller de petites choses qui sont pourtant là.
Puis nous reprenons notre marche. Les élèves ne sont pas épuisés. Ils ne demandent pas quand est-ce qu’ils peuvent s’arrêter. Mais ils ont un rapport à l’environnement baigné de curiosité et d’intérêt, plus attentif à ce qui les entoure, plus attentifs à eux-même.
Article rédigé par Victor Waqué